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Mad Max Fury Road et Vice-Versa par Tony (part 1)
L'été 2015 aurait dû être un sommet de promesses cinématographiques. Il fut au final bien médiocre. Seuls deux blockbusters ont réussi à s'imposer comme les réussites artistiques qui pesaient sur leurs épaules : Mad Max Fury Road et Vice-Versa. Deux films diamétralement opposés mais exceptionnels en tout point de vue. On vous explique pourquoi.
Commençons par Mad Max Fury Road. Ce film était un double évènement : d'une part, il signait le retour du Road Warrior sur grand écran, 30 ans après Au-delà du Dôme de Tonnerre. D'autre part, on assistait au retour du cinéaste George Miller au cinéma live.
George Miller est un cinéaste australien de 70 ans. C'est lui qui est à l'origine de la saga Mad Max. Réalisateur mésestimé, c'est pourtant l'un des plus grands metteurs en scène existant. Un véritable auteur qui fut malheureusement écrasé par le poids de sa trilogie culte. Surtout, Miller brouilla les pistes. On le retrouve sur Les Sorcières d'Eastwick (1987), comédie fantastique avec Jack Nicholson en Diable. Puis sur Lorenzo (1992), puissant drame familial avec Nick Nolte et Susan Sarandon incarnant Augusto et Michaela Odone, deux parents ayant pu sauver leur fils atteint d'une maladie incurable grâce à leur courage et à leur détermination. Six ans plus tard, Miller décide de réaliser Babe, le cochon dans la ville. Suite de Babe, le cochon devenu fermier, Miller prend tout le monde de court et fabrique un film sombre, cruel et pessimiste. Rien à voir avec le premier volet, ce qui explique son bide en salle. Les années passent. Puis 2006 arrive et Miller dégaine le cultissime Happy Feet, l'histoire de Mumble, manchot ne sachant pas chanter mais ayant un don pour les claquettes. Tourné en mocap, Miller réalise un carton au box-office et remporte l'Oscar du meilleur film d'animation. Une suite est vite envisagée mais n'arrive qu'en 2011. Happy Feet 2 ne réitère pas l'exploit du premier film et se pète les dents au box-office. En 2015 sort enfin Fury Road.
Après ce rapide passage sur sa filmographie, difficile, à première vue, de voir un auteur. Quels pourraient être les points communs entre Mad Max, Babe et Happy Feet ? Entre un guerrier de la route, un cochon qui parle et un manchot qui fait des claquettes ? Tout d'abord, Max, Babe et Mumble sont des agents du changement. Ces personnages transforment la vie des gens qu'ils rencontrent. Un film de Miller c'est aussi un voyage. Un grand voyage qui se termine par le retour triomphal du héros à son foyer. De plus, ses films sont traversés par des fulgurances quasi mythologiques. Ses héros le sont. Le drame Lorenzo est en soi un film fait de ce bois. Les parents se préparent à la bataille face à la maladie de leur fils et vont s'y donner corps et âme. Lorenzo va les transformer du tout au tout. Il est un agent du changement. Tout ce qui fait le sel des films de George Miller. Un véritable auteur, donc.
Mais venons-en à Fury Road. Miller a en tête ce quatrième opus depuis 1998. Très vite, le projet se met en branle et Miller envisage Mel Gibson et Heath Ledger pour un tournage en Namibie. Mais 2001 arrive avec les attentats du 11 septembre. Le dollar perd de sa valeur et la situation internationale est tendue en Afrique. Premier report. Miller se tourne vers son Australie natale, plus précisément à Broken Hill. Manque de pot, la région est balayée par plusieurs pluies transformant l'étendue désertique en champ de fleurs. Report. Puis Mel Gibson pète les plombs. Puis Heath Ledger meurt. Le projet devient une véritable arlésienne. Miller pense même le transformer en film d'animation. Mais en 2012, tout rentre dans l'ordre. Tom Hardy, Charlize Theron et Nicholas Hoult sont castés pour les rôles de Max, Furiosa et Nux. Le tournage démarre en juillet 2012 en Namibie. Près de 200 véhicules sont réquisitionnés. Car Miller se la joue old school : il veut tourner avec un minimum d'effets numériques. Sauf que ce ne sera pas une partie de plaisir. Miller est perfectionniste et prend son temps. 120 jours de tournage seront nécessaires avec à la clé beaucoup de sueurs froides de la part de Warner, des frictions entre Miller et Tom Hardy et entre celui-ci et Charlize Theron.
Mais en mars 2013, des reshoots sont prévus pour novembre. Mince, le film serait-il mauvais ? Pas du tout. Impressionnée, la Warner aurait accordé une rallonge à Miller pour tourner de nouvelles scènes. Puis le temps passe. Jusqu'en juillet 2014, où lors du Comic-Con de San Diego, la Warner dégaine le premier trailer.
De projet maudit, le film devient "évènement de 2015". Suivront d'autres trailers tous plus excitants les uns que les autres. Jusqu'à sa sortie le 14 mai 2015, parallèlement à sa projection hors-compétition à Cannes. Et on a vu.
Hanté par un lourd passé, Mad Max estime que le meilleur moyen de survivre est de rester seul. Cependant, il se retrouve embarqué par une bande qui parcourt la Désolation à bord d'un véhicule militaire piloté par l'Imperator Furiosa. Ils fuient la Citadelle où sévit le terrible Immortan Joe qui s'est fait voler un objet irremplaçable. Enragé, ce Seigneur de guerre envoie ses hommes pour traquer les rebelles impitoyablement. Voici le synopsis officiel du film. Miller n'a jamais écrit de scénario à proprement parler mais a dessiné un storyboard constitué de 2000 dessins. De plus, Miller avait en tête une course-poursuite de deux heures où le scénario se dévoilerait petit à petit, ce qui permet au film de ne jamais verser dans l'explicatif. Il va droit au but, ne déploie pas une intrigue quelconque du type "comment la citadelle d'Immortan a été construite" ou "d'où viennent les cinq épouses".
Parlons-en justement de ces cinq épouses. Elles sont les "propriétés" d'Immortan et afin de se libérer de son joug, ont décidé de s'enfuir avec Furiosa. Les seules beautés de ce monde de fou. Miller aurait pu, comme 99% des blockbusters actuels (Jurassic World, Avengers 2, Terminator Genysis, Ant-Man), les traiter avec sexisme, en en faisant des femmes-objets tout en multipliant les plans fesses ou décolleté. Jamais Miller ne s'abaisse à ça. Les femmes dans Fury Road sont fortes, intelligentes, utiles et refusent de se soumettre à ce monde violent où elles ne sont que des esclaves sexuelles. Elles prennent leurs destins en main. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si nous ne voyons que deux personnages masculins bons et gentils, Max et Nux. Pas un hasard non plus si un gang de bikers entièrement féminin rejoignent Max et Furiosa dans la dernière poursuite.
Voici Immortan Joe, incarné à la perfection par Hugh Keays-Byrne interprète du Toecutter dans le premier Mad Max. C'est un seigneur de guerre cruel et violent. Considéré comme un dieu par une population affamée et pauvre, il détient l'eau, denrée précieuse devenue rare. Il est le leader de son armée de War Boys, soldats kamikazes le vénérant et à demi-morts. Pour ces War Boys, la mort ou l'adoration d'Immortan leur permettrait d'atteindre les portes du Valhalla. Bon sang, ça ne vous fait vraiment penser à rien ? Fury Road colle parfaitement à l'actualité internationale. Ce qui se passe dans le film est précisément, à deux ou trois détails près, ce qui se déroule avec l'Etat Islamique. Des jeunes prêts à mourir pour un chef afin d'atteindre le paradis, des batailles dans le désert pour l'eau et le pétrole, des femmes soumises aux hommes. Miller a non seulement réalisé le meilleur film de l'été et de l'année (pour l'instant) mais il a aussi fait un film féministe et actuel. Si ce n'est pas du génie.
Mais on ne peut pas résumer Fury Road uniquement à cela. Il faut évidemment parler des courses-poursuites. Et que Miller, 70 ans au compteur, propose un spectacle hallucinant et fou furieux qu'aucun yes man d'Hollywood type Joss Whedon ou Colin Trevorrow n'aurait pu faire. C'est bien simple, Fast and Furious peut revenir dans son bac à sable. Jamais la saga crétine et débile de Vin Diesel n'atteint et n'atteindra le mastodonte de Miller. La photo ci-dessus est révélatrice. QUI pourrait faire ça, hein ? Max passant devant la caméra, le convoi qui explose, le guitariste qui continue à jouer. La séquence fut tournée de cette façon : d'abord l'explosion, ensuite les voitures puis après Tom Hardy. Ce fut à la monteuse Margaret Sixel de fusionner les séquences tournées.
Margaret Sixel est la femme de George Miller. Elle a notamment travaillé sur Babe le cochon dans la ville et Happy Feet. Fury Road est son premier gros film d'action. La grande force des poursuites vient justement de son montage. En effet, Miller et Sixel décident de placer l'action au centre de la caméra de telle sorte que la lisibilité soit parfaite. Sans jamais tomber dans la poursuite hollywoodienne jump-cutée, Sixel propose un montage hors du commun. Il sera difficile de faire mieux.
Exemple : la baston entre Max et Furiosa. Très coupée, une cinquantaine de plans et pourtant un miracle de lisibilité (il faut aussi saluer le travail du chef opérateur John Seale, chaque plan du film étant à couper le souffle, notamment les séquences de nuit).
Enfin, évoquons le travail de Tom Holkenborg alias Junkie XL dont la musique est à chaque fois un morceau de bravoure. Les images de Miller n'auraient jamais paru aussi puissantes sans sa musique. La scène de la tempête toxique, paroxysme de la première poursuite, vaut aussi pour sa musique époustouflante (difficile de ne pas avoir les frissons).
C'est grâce au talent de toutes ces personnes et surtout, grâce à George Miller que Mad Max Fury Road est un grand film spectaculaire, féministe et mythologique. Il est définitivement sûr qu'il va y avoir un après-Fury Road. Bravo à eux. Il ne manquerait plus que les Oscars pour parachever ce sommet de cinéma. L'apogée de George Miller, l'un des plus grands réalisateurs de notre temps.
SOYEZ TEMOINS !
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